Cuisiner un poisson c’est offrir l’océan

J’ai cuisiné la mer pendant 26 ans. Je suis de cette famille-là. Pour nous autres, cuisiniers de la mer, cuisiner un poisson c’est offrir l’océan. Il n’est pas question d’en trahir l’intégrité, que ce soit dans l’assiette ou parce que notre poisson proviendrait d’une exploitation abusive des ressources naturelles. L’océan fournit à l’humanité une grande partie de sa subsistance, grâce aux poissons et aux crustacés mais aussi à cause du rôle de la mer dans le maintien de notre écosystème. Or, d’après les études menées par le SeaWeb Europe, 90% des populations de poissons de la planète sont, soit surexploitées (29%), soit exploitées au niveau maximum (61%). Tout près de nous, en Atlantique Nord-Est, près de 40% des stocks sont surexploités. Il faut réagir maintenant !   

En tant que cuisinier, nous sommes des passeurs. Nous faisons le lien entre les filières de production et le client. A ce titre, je suis convaincu que nous avons un rôle clé à jouer dans la préservation des ressources. Aujourd’hui, je pense qu’un cuisinier doit, non seulement s’efforcer de choisir des espèces dont les stocks sont traçables et en bon état mais encore s’attacher à faire découvrir aux consommateurs des poissons moins fragilisés, et souvent mésestimés, alors qu’ils sont incroyablement savoureux. Il existe quelques 20 000 espèces de poissons dans le monde, nous n’en consommons qu’une quarantaine ! Par exemple, apprenons à nos hôtes à apprécier le maquereau dont le stock n’est pas en danger et qui est délicieux simplement mariné ! Je me suis toujours efforcé de choisir des producteurs qui se battent pour l’environnement, qui s’attachent à une culture respectueuse du vivant et de sa diversité. C’est indispensable mais insuffisant. Préserver les ressources maritimes passe aussi par une cuisine respectueuse de l’intégrité du produit et par les qualités d’ambassadeur du personnel en salle. Depuis 2010, je me suis ainsi engagé avec SeaWeb Europe et l’Ecole Française de Gastronomie Ferrandi au travers d’un concours qui porte mon nom et dont l’objectif est d’impliquer les nouvelles générations de cuisiniers dans la protection des halieutiques.

Chaque année ce concours récompense six lauréats, trois dans la catégorie « élèves »  et trois dans la catégorie « jeunes professionnels ». Tous méritent cependant la plus grande considération parce qu’en qualité de chef, ils s’attachent à sublimer la mer en ce qu’elle recèle de meilleur, à travers des espèces aussi bonnes et nobles les unes que les autres, mais surtout des espèces qu’il sera également donné aux générations futures d’être dégustées, ils choisissent des poissons durables. D’autre part, il faut saluer l’engagement citoyen qui les incite à participer à ce concours. Leur démarche est riche de sens ; elle fait d’eux les porte-parole d’une nouvelle génération de chefs dont le rôle n’est pas seulement de cuisiner, mais de cuisiner de façon responsable. Depuis 2014, nous avons réuni les 29 lauréats et finalistes des éditions précédentes en un équipage, Les Cuisiniers de la mer, pour donner à ses membres une voix commune capable d’exprimer cette nouvelle vision de la cuisine, responsable et engagée pour la préservation des océans.

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